Orgue de Vinça
Bref historique de l’orgue de Vinça
« La réalité est trop vaste, nous y sommes trop perdus pour qu’aucun des jugements que nous portons sur elle ait le privilège d’une évidence immédiate. »
André DARBON, Les catégories de la modalité.
Chapitre I — XIVe siècle
Si nous nous référons à la revue historique diocésaine de Perpignan du mois de juillet 1926, nous trouvons, dans un article de M. l’abbé Jean ROCCA, qu’un bénéfice fut fondé pour l’orgue de Vinça, le 4 mai 1348 par un certain Marti Descatllar, avant même la construction actuelle de l’église. Il y avait donc, déjà à cette époque-là, un instrument dans l’édifice, était-ce un orgue?.. Comme presque toujours, nous ne possédons aucun renseignement, seul M. Jean MAS, au cours d’un de ses articles traitant de l’orgue de Vinça (Extrait de « La Petite Maîtrise » n°.28l octobre 1956) affirme d’un ton qui ne permet pas la réplique: « On ne sait pratiquement rien, mais on n’en penserait pas davantage, sans doute ». Aussi devant une telle détermination, déplaçons nous, chronologiquement de quelques siècles, et d’un chapitre, celui-ci restant maintenant dépourvu d’intérêt.
Chapitre II — XVIIIe siècle
Nous voici à nouveau dans ce petit village du Sud de la France que nous connaissons bien, où une atmosphère de paix règne, reflétant le coeur bon et généreux de ses habitants qui… mais ne nous égarons pas car, en effet, une agitation bien particulière vient troubler ce calme à l’intérieur de l’église Saint Julien et Sainte Basilisse de Vinça. Il s’agit, bien sûr, et comme vous l’avez deviné, de la construction actuelle de l’église.
« Grâce aux libéralités testamentaires de Don Carlos Perpinyà y Solera, nous dit M. l’abbé A. CAZES, on entreprit la reconstruction de l’église, dont on confia les plans à Maître Laurent, ingénieur, et à Maître P. Figeac, architecte de Narbonne. On procéda à la pose de la première pierre le 25 juin l734. L’église fut terminée le 25 juin 1769. Il s’agit d’un édifice composé d’une seule nef divisée en 5 travées flanquées de chapelles dont les deux premières, plus profondes et plus larges font office de transept. Toutes ces chapelles sont ajourées de fenêtres correspondant à celles du grand vaisseau. La couverture est partout en voûte d’ogives. Sauf le portail qui est en marbre, toute l’ossature de la construction est en dur granit de la région ».
Quelques temps avant la fin des travaux, en l’an 1754 un jeune organier (fabricant d’orgues), le clerc Joseph Cavaillé de l’ordre de Saint Dominique à Toulouse, recevait la commande du grand orgue. Joseph Cavaillé quitta le couvent de Toulouse auquel il était rattaché, en compagnie de son neveu, Jean-Pierre Cavaillé, orphelin de 11 ans, auquel il enseigna son art. Rappelons la phrase touchante que l’arrière petite fille de ce dernier écrivit: « II commençait à cet âge tendre, son éducation professionnelle, comme le firent après lui, son fils Dominique et ses petits fils Vincent et Aristide Cavaillé Coll ». C’est donc en 1760 que nous trouvons nos deux compagnons, l’oncle et le neveu, en Roussillon reconstruisant l’orgue de N-D de la Réal à Perpignan, et poursuivant par la construction de l’orgue de Vinça. Jean-Pierre Cavaillé devait alors faire la plus grande partie du travail, son oncle étant d’un âge assez avancé.
Ils commencèrent leur oeuvre, à Vinça, certainement dans le cours de l’année 1760 et placèrent l’instrument du côté de l’évangile, à gauche de la nef, dans la chapelle de Saint Antoine (l’actuelle), et à mi-hauteur de la troisième travée. Mais tout ne marcha pas comme il était prévu, en effet la construction s’arrêta, inachevée, au cours de l’automne 1762, la fabrique ne possédant plus les moyens pour y parvenir. Jean-Pierre Cavaillé décidait alors de partir en Espagne, à Barcelone, chercher fortune, ce qu’il fit. Et c’est ainsi qu’entre deux chantiers(l’orgue de Sainte Catherine et celui de la Merced, Barcelone), il épousa Mlle Maria-Francesca Coll…
Ce n’est donc qu’en 1765 que la Marguillerie de Vinça trouvait les fonds nécessaires à la poursuite de la construction de l’orgue, pour cela il fallut que les notables de la ville prennent en charge la construction et l’entretien des ponts et des routes de la commune, pendant trois années consécutives. Cette mesure permit à la communauté d’économiser la somme de 500 livres par an, donc 1500 livres en trois ans. Il n’en fallait pas plus pour achever la construction, elle le fut, très certainement, au cours de l’année qui suivit.
Pendant cent dix ans, cet orgue de trois claviers et pédale, devait faire l’orgueil de l’église Saint Julien par son double buffet, placé à la mode catalane, sur le côté de la nef, en nid d’hirondelle, ou sa voix se marie mieux au chant des paroles latines ou des « goigs » catalans.
Jusqu’alors, les processions auxquelles s’ouvrait la vaste église de Vinça, consacraient les haltes à l’exécution de musique; des « ministreils » (flûtes, flageolets, hautbois, cornemuses, musettes) jouaient leurs airs, ou, sous la conduite d’un « cabiscol », avec les voix qu’ils soutenaient, exécutaient de délicieux motets. L’orgue de Vinça mêla ses accents à ceux de la population d’alentour, venues au devant des reliques de Saint Galdric, qui depuis huit siècles, parcouraient, semant des miracles, le Roussillon et le Conflent.
Pour clore ce chapitre, il ne reste qu’à préciser, comme le fit remarquer Mlle Cavaillé-Coll, que l’orgue de son aïeul était conçu dans l’esprit musical catalan, « il en gardait les fraîches sonorités ».
Chapitre III —XIXe siècle
Prenant un raccourci dans le cheminement du temps, nous arrivons au début de l’année 1856. Un facteur d’orgue de Paris, M. Thébault, fut appelé à examiner l’instrument déjà presque centenaire. Il le trouva dans un état de vétusté déplorable. La soufflerie était à refaire à neuf d’après le nouveau système, avec réservoir, double pompe mise en mouvement par une seule bascule (horizontale, à bras). A refaire également les sommiers du grand orgue, du positif, du récit et deux sommiers de pédale pour quatre jeux. Trois claviers à main de 54 touches et un clavier de pédales de forme allemande, de 18 notes, d’Ut à Fa. Enfin tout le mécanisme auquel plusieurs dispositions devaient être ajoutées pour agir au moyen de pédales en fer destinées à accoupler le récit au grand orgue, le positif au grand orgue, les repousser enfin ouvrir et fermer la boîte expressive. Pour terminer, tous les porte vents seront refaits et une boîte expressive construite pour enfermer les 5 jeux du récit.
Le facteur demandait pour cette reconstitution, dix mille cinq cents francs, se réservant le droit de faire resservir les matériaux de l’ancien orgue susceptibles d’être utilisés.
Le 26 août 1862, le Conseil de fabrique, composé de MM. Pons (Curé); Lazerne (Maire); Molins (Président); Pages; Vergés Jean; Vergés Julien; et Baille, délibère et considérant que l’orgue était réellement en ruines, approuve le devis. Il déclare, de plus, qu’il y a lieu de traiter avec M. Thébault, aussi recommandable par son caractère que par ses travaux à Ille-sur-Têt, Céret et Prades. La délibération, soumise à l’évêque, est approuvée et signée le 15 septembre 1862 : Bornet, Vicaire général. »
Tous ces renseignements sont tirés du résumé de Mlle Cavaillé-Coll, leur valeur est, par conséquent certaine. C’est à ce moment que fut dressée la nouvelle tribune, demi hexagonale, chantournée, rappelant l’ordonnance de la tribune de Prades, mis à part le fait qu’elle est portée par deux grêles colonnes en fonte, tandis qu’à Prades ce sont deux magnifiques colonnes de pierre rose du pays. Les divers travaux de démontage, reconstruction des sommiers, ménagements des locaux et remontage total, devaient demander environ dix huit mois; nous en trouvons en effet l’indication dans une inscription tracée au revers intérieur d’une des deux anciennes portes d’accès à la tribune, dans le massif, du côté Epître (côté ut de la montre). On y lit, tracé à la craie: « Ce buffet a été fait par Bour Antoine, menuisier, l864 ». Il faut bien rester sceptique quant à l’étendue des prétentions de cet excellent homme, dont les talents attestés par le remontage, permettent fort bien de distinguer l’ancienne balustrade sculptée, ceinturant le positif jusqu’à l’aplomb ancien des piliers de la chapelle Saint Antoine, des nouveaux balustres simplement découpés selon la même silhouette. On distingue aussi l’élargissement du buffet, en menuiserie nue de part et d’autre des grandes montées de palmes sculptées le long des tourelles, et qui cachaient autrefois le joint du buffet et de la pierre. Si nous savons qui retoucha le meuble en dernier lieu, l’auteur « du sourire de son joli buffet Louis XV » n’a pas laissé de trace.
D’après ce que nous dit Mlle Cavaillé-Coll, le projet primitif du facteur Thébault comportait une réduction du nombre de jeux à 25, or l’instrument, inventaire des jeux ancien effectué, sembla probablement mieux réparti autrement.
Chapitre IV —XXe siècle
Hélas, quelques nazards et tierces séparés ainsi que les cymbales et le plein-jeu du positif ont disparu. Il est possible que certains jeux aient été subtilisés et remplacés à l’aide de tuyaux de moins bonne qualité (l’alliage ayant des proportions moins rigoureuses), au cours des travaux de réparation qui ont eu lieu, l’orgue ayant été foudroyé à deux reprises. En 1900 notamment, des tuyaux (anches du récit, gambe du grand orgue, tuyaux de façade) avaient été percés « comme par des balles de mitrailleuse ».
Le registre de la paroisse de Vinça nous dit que: » M. Puget de Toulouse a réparé et refait à neuf 47 tuyaux, en sorte que l’état de l’orgue est parfait; seule la soufflerie laisse encore à désirer, (septembre 1926) ». Peu après, en 1931, M. l’abbé Jampy fit relever tout l’instrument et placer un ventilateur a la soufflerie, dans le même registre on trouve : « le ventilateur avec moteur monophasé a été placé à l’orgue de Vinça le 25 Mai, par M. Papay, monteur de la Maison Puget de Toulouse ».
Peut-être, dans un prochain historique, pourrons-nous trouver le texte suivant: « Restauration complète de l’orgue par Monsieur… »; mais n’anticipons pas, et passons de ce pas au chapitre suivant.
Chapitre V — Organistes
Un article tiré dé la revue historique et littéraire du diocèse de Perpignan (5 juillet 1926 – n° 65) nous donne les renseignements suivants: « Le 27 novembre 1555, Jacques Sunyer prit possession du bénéfice fondé pour l’orgue par Marti Descatllar. Le 5 décembre suivant, ce bénéfice fut donné à Gaspard Ysern. En l697 se trouvait au clavier depuis quelques années Elaise Goren, qui démissionna pour aller a l’orgue de Thuir.
Le 19 janvier 1705, était organiste, Dominique March; le 30 Mai 1705, Montserrat Marçal; le 25 août 1707, Michel Vernet; le 10 août 1717, Thomas Briançon; le 9 Novembre 1755, Jean Luga, bénéficiaire de Saint Jacques de Perpignan ; le 27 décembre 1762, Joseph Brilles; le 25 février 1790, Antoine Maffre, prêtre ».
Le 15 octobre 1865, la Fabrique passe contrat avec l’organiste Louis Colomer, aux somptueux appointements de deux cent soixante quinze francs par an. Sa succession fut prise par sa fille, Mlle Colomer, décédée en 1932. M. Frère, musicien cultivé, lui succéda à ce moment.
II reste à signaler qu’un grand nombre de détails ont été empruntés à l’article de M. Jean Mas paru dans « La revue de musique religieuse (N° 28l- octobre 1956) ».
EPILOGUE — Septembre 1977
On s’apercevra sans peine qu’en dépit du souci de précision qui me caractérise, je n’ai pas fait un historique très détaillé de l’orgue de Vinça. Ces choses-là demandent une solide érudition, des recherches sérieuses, et rien n’est plus absorbant. En outre, tous ces travaux sont assez contraires à l’esprit du mot qui les inspirerait. Mot que je n’ai d’ailleurs pas défini, et que je me garderai bien de faire.
Extrait de l’article écrit par Monsieur Emile LUZZATO, archiviste de l’Association Jean Pierre CAVAILLE et paru dans le Grand Plein Jeu N° 2 du deuxième semestre 1977.
DONNÉES TECHNIQUES DE L’ORGUE DE VINÇA
Facteur : Jean-Pierre Cavaillé.
Construction : (1760 – 1765).
Relevages : Grinda 1820 ; Thébault 1862 – 1864 ; Hermelin 1931 ; Grenzing 1977.
Diapason : 380 (à peu près un ton en dessous du diapason actuel).
Tempérament : Inégal « Léger ».
Accouplement à tiroir : Positif / Grand-Orgue.
Récit : 32 notes : sol2 – ré5.
Grand-Orgue : 50 notes : do1 / ré1 – ré5.
Positif : 50 notes : do1 / ré1 – ré5.
Pédalier à l’allemande : 26 notes : do1 / ré1 – ré3.
Pas de 1er do dièze.